Le sens commun nous amène à considérer comme naturel que la pensée commande notre comportement. Est-ce vraiment le cas ? Nous avons tous vécu des situations d’inconfort psychologique, de circonstances peu favorables où la pensée négocie un comportement différent de notre attitude.
Dans la cartographie de nos influences réciproques, entre soi, autrui et l’environnement, il y a cette grande autoroute de la décision évidente et il y a de nombreux carrefours. Ces carrefours sont ceux d’une négociation. Un choix entre un chemin visible par tous et en côte. C’est la voie du courage d’être en accord avec son attitude. Et un autre chemin, celui-là est en pente, il est vite pris, et on souhaite souvent qu’il n’y ait pas de témoin. Et si nous sommes en désaccord avec l’histoire qui nous arrive, on crée un récit où tout s’explique, se rationalise, nous réhabilite. Quel que soit le chemin, on arrive toujours à la même destination : un récit.
La pensée commande ou, à la rigueur, négocie notre comportement. Pour notre consistance, le comportement doit être lié à notre attitude. L’attitude étant inobservable pour autrui, il est facile de négocier le sens avec autrui. Cette négociation se joue t’elle aussi avec nous-même ?
La nuance du commandement à la négociation ouvre la mélodie du doute dans la partition qui se joue entre nous, autrui, et l’environnement. Peut-être que l’autoroute de la pensée et ses carrefours ne sont en fait que tracés, creusés par le comportement lui-même. Le comportement, à travers ces mouvements, est le véritable chef d’orchestre de nos pensées et changements d’attitude : ce ne sont pas elles qui circulent librement, mais le labyrinthe inaccessible de notre comportement qui fait ruisseler comme il le souhaite nos pensées.
En psychologie sociale existent une mélodie dissonante, une vision divergente où c’est le comportement qui fait la pensée. Festinger propose dans sa théorie de la dissonance cognitive : l’induction[1] de la pensée par le comportement et Bem dans sa théorie de « l’auto perception » propose l’inférence[2] de la pensée par le comportement.
Le sens commun entend le comportement comme un produit de sortie (effet) de la pensée alors que la psychologie sociale, dans les positions théoriques de Festinger et Bem, voit le comportement comme une entrée (cause). Une cause qui, pour la dissonance cognitive, peut créer un inconfort psychologique, ce que Festinger appelle « une dissonance ». Réduire la dissonance revient à trouver une consonance, créer une pensée qui assure une consistance entre son environnement, son comportement et sa connaissance de soi. Le comportement induit une pensée.
Pour Bem, le comportement permet d’inférer une pensée. Pour être acteur de son comportement, une pensée sera créée, même si elle n’a aucun rapport avec le comportement. C’est de « l’auto-perception ». Et en simple spectateur de notre propre comportement, aucune pensée n’est nécessaire.
L’expérience de Festinger & Carlsmith (1957) « 20 $ pour un mensonge »[3] conforte les deux théories : le comportement orchestre une rationalisation par la pensée, avec un possible changement d’attitude motivé pour Festinger, et auto-perçu (ou pas) pour Bem.
Dans les années 1930, Allport (1935, p. 810) postule la définition suivante : « une attitude représente un état mental et nerveux de préparation à l’action, organisé à la suite de l’expérience et exerçant une influence directrice ou dynamique sur les réponses de l’individu à tous les objets et à toutes les situations qui s’y rapportent ». La dynamique comportementale a probablement un sens mais lequel ?
– Dans le sens commun, la flèche part de la pensée qui enclenche ou nourrit une attitude. L’attitude filtrée par l’intention, se matérialise en comportement.
– Dans le sens inverse, le comportement crée un discours qui ajuste l’auto-perception ou réduit la dissonance.
Mais, le plus important n’est-il pas de constater la création d’un récit ? Un monde harmonieux où l’individu se crée une fiction qui agit sur la réalité. Un univers qui interagit dans des causes et effets entremêlés. Où les forces « pensée » et « comportement » sont dans un rapport dynamique, auto-organisé pour nous mettre en histoire.
Détisser la complexité vient peut-être alors moins de l’ordre à donner entre pensée et comportement que du récit harmonieux à trouver.
[1] L’induction permet de tirer des conclusions générales et de remonter des faits aux lois et règles. Elle part du particulier vers le général.
[2] L’inférence permet de produire de nouvelles informations à partir d’autres informations sans lien.
[3] L’expérience proposait un test très ennuyeux à des sujets. A l’issue du test, on propose à ces mêmes sujets de convaincre les futurs participants que le test est très distrayant. Un groupe se voit proposer 20 $ et l’autre 1 $. C’est le groupe 1 $ qui ajuste un mensonge en vérité, grâce à un changement d’attitude (trouver le test plaisant), car on ne pourrait mentir pour une somme aussi faible.